RENCONTRE AVEC NAYLA AJALTOUNI, ETHIQUE SUR L'ÉTIQUETTE
Découvrez l'interview passionnante de Nayla Ajaltouni, Coordinatrice-déléguée générale du collectif Ethique sur l'étiquette œuvrant pour le droit humain du travail dans le monde et notamment sur le secteur du textile coupable de nombreuses dérives.
Au programme : ses combats, ses constats mais aussi ses actus car nous avons eu la chance d'interviewer Nayla au lendemain de l'ouverture de l'enquête pour «recel de crimes contre l’humanité» contre des multinationales du textile accusées de profiter du travail forcé de Ouïghours en Chine (L'interview avait été réalisée mi-juillet)
Nous sommes ravies de partager avec vous cette interview si riche et en profitons pour renouveler nos remerciements auprès de Nayla.
TR : Bonjour Nayla, pouvez-vous vous présenter ?
Nayla : Bonjour, je m’appelle Nayla. J’œuvre pour le collectif Ethique sur l’étiquette depuis 2007 en tant que coordinatrice-déléguée générale.
Éthique sur l’étiquette est un regroupement d’acteurs divers de la société civile tels que les ONG, syndicats et organisations de défense des consommateurs. Le collectif défend les droits humains au travail dans les chaînes de sous traitance mondialisées sur le secteur de l'habillement textile essentiellement.
Nous sommes ce que nous appelons un collectif de playdoyers, à savoir que nous documentons les violations des droits humains au travail, les impacts sociaux, économiques et et environnementaux. Parallèlement, nous appuyons les luttes des travailleurs dans les pays producteur de textile et à travers nos actions de plaidoyers fondées sur la mobilisation et la sensibilisation des citoyens.
Notre objectif final est de trouver un encadrement juridique contraignant pour réguler les activités des multinationales.
TR : Pouvez-vous dire que les choses ont évolué ?
Nayla : Le secteur du textile continue d’être une belle illustration des dérives de la mondialisation libérale, dérégulée et des conséquences sur l’humain.
Depuis quelques années, une prise de conscience citoyenne grandissante a émergé avant même l’accident du Rana en 2013. On ne parle plus seulement de conditions de travail mais aussi d’enjeux environnementaux avec le gaspillage textile, la sur-production, les dégâts environnementaux occasionnés par cette industrie (…).
Tout cela a conduit en 2017 à l’élaboration d’une loi extrêmement importante sur le devoir de vigilance. Elle est une loi pionnière dans le monde car elle permet de responsabiliser les multinationales sur les impacts sociaux et environnementaux au-delà des frontières et constitue un premier jalon sur la nécessité de réguler l’activité des multinationales.
Dans la mode, le modèle économique dominant repose sur la rémunération des actionnaires avec une minimisation des coûts de production. De fait, il impose une exploitation massive et généralisée de travailleurs avec des situations aussi terribles que celles du travail forcé des populations Ouïghours. Parallèlement, certaines enseignes déploient des alternatives au modèle dominant sans pour autant le remettre complètement en question. Mais on voit bien que les questions d'économie circulaire ou de recyclage deviennent stratégiques pour ces enseignes parce que les consommateurs les demandent et que des cadres politiques évoluent aussi. Tout l'enjeu aujourd’hui est de faire basculer le modèle économique dominant dans la mode, et notamment celui de la fast fashion.
TR : Pouvez-vous nous en dire plus sur cette loi liée au devoir de vigilance ?
Nayla : La loi sur le devoir de vigilance impose aux entreprises multinationales un principe en matière de respect des droits humains et environnementaux : prévenir et réparer les violations des droits humains et les dommages environnementaux. Les grandes multinationales ont désormais l’obligation de publier un plan de vigilance, dans leur rapport annuel et de le mettre en œuvre de façon effective.
Cette loi a évidemment un pouvoir de sanction mais elle ne comprend pas de volet pénal.
TR : Aujourd’hui, une proposition de directive européenne devrait sortir en septembre ?
Nayla : Oui, on est davantage sur octobre désormais.
TR : J’ai lu que vous faisiez face à un lobbying actif de la part des grands groupes !
Nayla : Les questions de régulation des chaines de valeurs sont au cœur de beaucoup de discussions, d’engagements politiques dans différents pays et sont sources de tensions très vives avec les fédérations patronales et les grandes entreprises.
Le lobbying n’est pas nouveau mais il est vrai que le travail en sous-main est encore plus flagrant ces derniers temps. Aujourd’hui, les fédérations patronales et les très grandes entreprises ont accès aux décisions, notamment à Bruxelles. Elles cherchent à obtenir une directive au rabais n'engageant pas la responsabilité juridique, notamment pénale, des grands groupes afin de continuer le business as usual avec seulement quelques engagements sociaux et environnementaux. Or, engager la responsabilité pénale de l’entreprise est essentiel si on veut dépasser la loi française. Pour nous, le seul but est de mettre un terme à l'impunité en contraignant les entreprises à changer de modèle.
Alors bien sûr, nous suivons tout cela de près et nous avons aujourd’hui une grande crainte, c’est que le gouvernement français recule. Or si la France ne pousse pas pour cette directive ambitieuse, nous aurons de grandes difficultés.
TR : Et justement, tout cela nous mène à cette dernière actualité : la plainte que vous avez déposé contre quatre sociétés pour leur implication dans le travail forcé de la population Ouïghours de la province du Xinjiang
Nayla : En effet, nous avons soumis à la justice des preuves que des grandes entreprises profitent économiquement d'une situation de dégradation humaine ciblée qu’elles ne peuvent absolument pas ignorer. Le juge a ainsi déposé une plainte pour crime contre l'humanité, recel de traitements dégradants, torture, etc. en avril dernier contre Uniqlo, le groupe Inditex, Skechers et SMCP notamment. Et en effet, on a appris début juillet que la justice ouvrait une première enquête. C'est une première étape dont on se réjouit car cette première enquête va permettre de questionner la responsabilité pénale de ces grands groupes. Nous ne sommes plus simplement sur le devoir de vigilance mais sur des questions de recel.
La plainte vise pour l'instant ces quatre enseignes, mais on incite la justice à élargir son enquête à tous les groupes dont les noms viendraient à émerger. Il faut savoir que la région du Xinjiang située dans le nord-est de la Chine est responsable d’1/5 de la production mondiale de coton.
TR : Qu’attendez-vous précisément ?
Nayla : Pour le moment, tout est entre les mains de la justice. On n’en sait pas plus. Nous n’avons pas vraiment d’espoir que le gouvernement chinois soit questionné mais la justice doit se tourner vers les enseignes concernées. Ça oui clairement !
TR : A suivre donc ! Justement, cela m’intéresse de vous entendre sur le green washing de ces marques de fast fashion ou main stream revendiquant un positionnement éco-responsable. Partagez-vous mon irritation ?
Nayla : Je partage complètement votre irritation. Bien sûr, c’est très dur de rester neutre. Il faut savoir par exemple qu’H&M est en train de réécrire son histoire en disant qu’ils sont une marque durable, responsable à prix abordable. Et évidemment, c’est insupportable. H&M fait partie du problème, tout comme Zara du groupe Inditex, Primark, Walmart ou Auchan. Cela fait partie des travaux de régulation qu’on a mené dans un cadre très large avec le collectif concernant la réglementation de la publicité et de la communication afin d’interdire le green washing. Il est fou de dire que certaines personnes employées sont absolument convaincues que grâce à eux, ces ouvriers ont du travail et ce, même s’ils ne gagnent que 80€ par mois. Cela fait clairement partie des schémas à briser : le couple chômage - exploitation. Là encore, il y a une responsabilité publique. Il faudrait que cela leur soit coûteux d’exploiter la main d’œuvre et les ressources naturelles.
TR : A ce propos, avez-vous vu la tribune rédigée par la marque Loom, publiée dans Le Monde, largement soutenue par Thelma Rose ?
Nayla : Bien sûr ! Oui, c’est très intéressant car elle est une parole organisée par des acteurs de la vie économique. Eux parlent de concurrence déloyale face à ces grands groupes réalisant des profits sur la base de dumping social et environnemental et demandent à être régulés.
(lien vers la Tribune : "Nous, marques textiles, demandons à être plus régulées")
POUR SUIVRE LES ACTIONS DU COLLECTIF ET SOUTENIR :
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Thelma Rose soutient l'action de Éthique sur l'étiquette. En tant que membre du réseau Green Friday luttant contre l'indécence du Black Friday, nous nous engageons par ailleurs à reverser 10% des ventes réalisées en cette journée.(lien vers la Tribune